L'Oeil et l'Oreille

 L'oeil et l'oreille (Fable)












Il est arrivé dans un passé lointain

Que, las de leurs maux, ces deux voisins

Se rencontraient chez le doyen sorcier des bois, 

Cherchant tous deux le pouvoir et le droit

De la parole -le hasard tramait leur leçon. 

Arrivés, déjà devine le devin,

Seul par l'image et sans le son,

Leur désir fervent à force de vin, 

Les plaça dans une tête où sans détours

Ils fusaient leurs plaintes, chacun à son tour.

L'Oeil, enthousiasmé d'avoir l'organe, 

Fit sortir de sa gargane :

"Dès leur naissance, je fais mon devoir. 

Oui, sans tromperie, je les permet de voir.

Mais une jalousie me rend fort déçu :

Je me déteste puisque je suis sourd

Et même les vacarmes les plus lourds

Près de moi passent inaperçus;

Tandis que toi voisin une fête est ton temps :

Aux doux mots des amoureux tu sembles si content !

Tu vis la vie de mon avis, 

Tout ce que j'ai en grande envie."

Son aveu ainsi terminé en pleurant, 

L'Oreille expira un nuage de soupir

Et fit entendre des mots  pires :

"J'ai vécu mon passé qu'en me leurrant. 

Qui sur terre l'aurait cru 

Que dans le temps chez toi a crû

Cet arbre barbelé d'épines jumelles ?

Ce nous est pareil telles tes prunelles !

Je passe vingt-cinq ans à tâtonner

Pour qu'enfin ici me cantonner. 

Si seulement la vue pouvait sonner, 

Je pourrais ainsi la joie moissonner !

J'échangerais mon tympan pour voir; 

Obsédante m'était l'optique pouvoir. 

Oh, quelle est douloureuse et stoïque, 

Cette vie et ses faits historiques !

Je me tracasse pour l'oeil et toi pour l'ouïe.

À cet entretien une leçon me luit. 

Je vivrai sans mal et tiendrai constance

Même au coeur des pires circonstances."


Nul problème à nul homme n'est trop lourd, 

Car c'est votre balance mesurée à vous. 

N'avisez pas à la mort de franchir le seuil. 

À avoir des maux vous n'êtes pas le seul.

Pour chacun son mal semble être le loup

Qui l'avalerait sûrement et d'un coup.

N'en concluez que plus que vous l'autre est aisé, 

Car, lui, ignorant peut-être ces normes, 

Comme une morne ce lui sera énorme

Et comme un enfant lui prendra en fessée. 




Florestal le Moine



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