Rien qu'un baiser ! NO : 004
Elios Pierre-Louis
Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, je n’éprouvais pas de chagrin vis-à-vis de mon ex famille. Ex famille ? Le réconfort de madame Frank, tout le confort sentimental investi autour de ma personne, me prenait de tendresse et d’autorité. J’y étais de toute mon aise. Ingratitude ou capacité d’adaptation ? Qui sait ? Ce n’était pas trop mon affaire ça, de philosopher sur moi-même. Je préférais pour l’instant me concentrer sur comment exorciser cet état d’aigreur de mon être, ce démon de ressentiment qui me corrodait l’âme.
Quelques jours passaient.
Je pris contact par téléphone avec l’homme que m’avait introduit Béa. La personne était acide. C’était une voix sans précision dans le timbre, usée, celle d’un soulard sans doute. Il m’exigeait d’abord 25 000 gourdes, un nom, une adresse et une photo.
-Seulement ça ? interrogeai-je.
L’homme toussotait avant de répondre.
-Oui, seulement ça.
-T’inquiète pas, bébé, ajouta-t-il comme il flairait mon manque de confiance. Ce sera réglé ! Si la belle Béa t’a dit qu’on peut, c’est parce qu’elle sait de quoi nous sommes capables. Nous sommes « les guêpes rouges », on ne rate jamais une action, nous.
-Quel est le délai ?
-Ça dépend.
-Dépend de quoi ? demandai-je.
-De la personne en question et de son lieu de résidence.
-Rue 23 I, chez les…
-Je sais où. Maintenant que je m’en souviens, Béa m’a déjà informé.
-Tu dois aussi connaitre qu’il s’agit de deux personnes ?
-Chut ! lui fit l’homme au bout du fil. Ce sera quatre nuits après le paiement comme délai. Mais il y a un souci, bébé.
-Quoi ?
-Le prix doit augmenter.
J’allais revendiquer mais la voix de l’homme me coupa aussitôt aux mots :
-Ces personnalités sont très importantes dans la ville, ça va faire beaucoup de bruit. Ce sont des gens de moyens en plus, ils auront de quoi engager une bonne poursuite contre le coupable. Voudrais-tu te faire prendre, bébé ? Il n’y a que toi qui peux tomber dans ce coup. Moi, j’ai mon sénateur, après deux jours de prison, il viendra me sortir de là. Ce qui est certain, c’est que je t’aurai déjà dénoncée.
Son argument me faisait se recroqueviller l’échine. Il avait raison. J’avais beaucoup plus d’intérêt à ce qu’il ne se fasse pas prendre que lui-même. J’avais obtempéré.
-Combien donc ?
-Trente-cinq mille, et ce n’est pas négociable.
Il n’était pas sérieux, ce type. Vraiment ! D’où allais-je trouver trente-cinq mille gourdes pour financer ma méchanceté ? Plutôt que je ne voyais pas tout de suite comment les récupérer à l’intérieur de chez mes vrais parents. Je trouverai bien sûr une stratégie ; pour l’instant, il me fallait fournir une réponse.
-D’accord. Je serai prête pour dimanche.
-Dimanche, 8 heures du soir, sous le pont. Tu viens seule. Tu n’auras pas d’autre rendez-vous, bébé.
La personne raccrocha.
Je rêvais ! Sous le pont à huit heures ? Rien que d’y penser, ça me glaçait le sang. Le téléphone était là, pendu à main droite, prêt à rouspéter. Pourquoi ? Pourquoi avais-je besoin de gaspiller toute cette somme, ainsi que ma pureté ? Sur le coup, j’ignorais ce qui m’avait empêchée de rappeler ce monsieur Kanibal et tout annuler. « Mais non, m’intima un autre raisonnement, il faut qu’elle paye, cette salope. C’est ton heure Lynn, c’est ton unique chance de prendre ta revanche sur ces personnes. N’oublie pas qu’elle a ton homme et a détruit tout ce que tu as été. » Cette boule dans ma poitrine n’avait pas d’autre remède que la satisfaction de mon orgueil. Ma haine m’entrainait partout selon son gré par sa force. Ma rage me rendit le courage nécessaire.
Les jours passaient.
Mon plan était simple : rentrer par effraction dans mon ancienne demeure, et prendre ce qu’il fallait. En y songeant bien, l’affaire n’était pas aussi simple que ça à en juger sur l’enjeu. Si je me faisais prendre, je serais alors une femme morte. J’en étais presque certaine.
Et voici que, ce samedi soir, je me trouvais au pied de la muraille, à faire mes prières avant mon escalade. Trois mètres de haut avec barbelés tout à l’entour, la maison ne manquait rien pour être qualifiée de citadelle. C’est là une frappante différence des constructions du centre-ville de celles des cités. Les maisons dans les cités sont toutes clôturées de murs et souvent de barbelés aussi. À première vue, il paraissait presque impossible de traverser une telle épreuve. Mais, comme l’on dit toujours, il ne peut avoir d’ennemi plus redoutable que celui qui a grandi dans ton sein. J’étais enfant de ladite citadelle, je connaissais donc ses petits secrets. J’avais pris soin d’échafauder, par le passé, des passerelles secrètes, presque insoupçonnables, entre les barbelés. C’était nécessaire pour la satisfaction de mes fantaisies d’adolescente, mes petites escapades.
Trèves d’hésitations, je m’attelais enfin, par l’arrière-cour, de poser le premier acte. Je m’élançai de toute la puissance de mes jarrets et, en deux temps trois mouvements, je me retrouvais à l’intérieur de la cour du pasteur Georges Philippes, mon père, à faire les salutations avec les chiens. Pour la première fois, je confirmais la fidélité de ces animaux. Ils accoururent me rejoindre. Ce chaleureux accueil, pour une première fois, ne me dérangeait en rien, moi qui ne supportais la race canine. Vite, je leur filai les morceaux de viande frite que je leur avais apportés à cette intention, et me dépêchai de pénétrer la maison par la porte arrière. C’était une chance des plus grandes que celle-ci fût ouverte, quand je réfléchissais au caractère précautionneux et minutieux des propriétaires de la maison. J’atteignis ma chambre au plus vite, passai la clef et y pénétrai aussitôt.
Tout y était, dans le même ordre que je les avais laissés. Fallait dire qu’ils n’avaient pas pris la peine de rien toucher. Je soulevai le matelas, du côté tête, y retirai une enveloppe et laissai choir l’amas de ressort sans ménagement. Sur l’instant, je pensais d'emporter mon sac à dos, mais me ravisais sur le champ en songeant que madame Frank pourrait bien se faire des idées en le voyant. Je tirai de préférence un tiroir de la partie basse de l’armoire, et optai de vider et d’emporter son contenu au lieu de prendre avec moi l’objet en question. Ce serait trop encombrant. J’abandonnais l’idée d’apporter rien de plus par double précaution : la première, pour ne pas éveiller la curiosité de mes parents et, la seconde, celle de madame Frank, ma bienveillante.
En songeant de tout remettre comme je les avais trouvés, je quittai le domicile des Philippes en hâte.
Il était aux environs des huit heures lorsque je rentrai chez madame Frank. La dame y était déjà. On dirait même qu’elle m’attendait. Je la trouvais au salon.
-Te voilà enfin, me lança-t-elle. Je ne t’ai pas vue quand je suis rentrée, et comme tu n’as pas laissé de mots, je ne pouvais pas m’empêcher de…
-Oh, je suis désolé… En fait, tout est de ma faute, j’aurais dû t’en informer : j’étais sortie prendre de l’air…
-Tu m’as fait peur, m’adressa-t-elle.
J’avais lu tant d’inquiétudes dans ses yeux, tant d’effrois sur son visage que je faillais me mettre en sang sous les coups de ma conscience.
-Je ne connais même pas ta famille, renchérit-elle. À qui m’adresserais-je s’il y avait pire ?
Ce n’était qu’après avoir entendu ces propos que je commençais à prendre conscience de la gravité de mon acte. Ceci fait, je m’étais mise à penser sur moi-même. Je compatissais à l’idée de faire à la dame supporter le poids de mon égoïsme. Par faute de cette imprudence, l’obligation de fournir un peu d’explication s’accentuait incroyablement. C’était déjà trop abuser de la bienveillance de la dame que je ne la disais encore rien de moi. C’est à peine si elle connaissait mon nom, la pauvre. « Je suis pitoyablement mal élevée », pensais-je.
-Je te promets de ne plus laisser une telle chose se reproduire, man !
Je la regardais tressaillir sous ses mots, et ne comprenais rien tout de suite. Elle souriait une lune de jamais vu. Elle enleva ses lunettes pour essuyer en dessous de ses yeux, les rigoles de larmes qui s'échappèrent. Ce mélange de pleurs et de joie me déroutait. Plutôt que je ne connaissais pas suffisamment d’elle pour tout déceler de la situation.
Son rire prenait en intensité, quand elle me dit :
-J’ignore pourquoi, mais cela me faisait une sensation étrange de t’entendre m’appeler maman.
Ah, c’est donc de cela qu’il s’agissait ! Le suspens chuta, et nous partîmes, toutes les deux, d’un rire doux et conjugué.
De toute mon existence, je n’avais jamais connu d’aussi mielleuse réconciliation. Chez madame Frank était un havre de paix et d’amour. Le pardon était évident.
-Je t’ai laissé un peu de quelque chose sur le réchaud, me dit-elle comme je me dirigeais vers ma chambre.
-Tu es un ange…
Le dernier mot s’était arrêté au pas de ma bouche. Suspectant toutes les deux le sous-entendu, nous en riions à nouveau.
Il y avait sur le réchaud une théière à moitié remplie d’un thé de cannelle et de citronnelle, le pain était à côté. J’en versais une tasse et poignais l’un des biscuits. Je filai dans ma chambre, l’estomac en gargouille. Elle tombait à point, cette petite collation.
Je mangeais avec amusement mon repas. Je consultai le contenu de mon butin : mon livret bancaire, ma carte d’identité, mon passeport, dix mille gourdes en espèce. Tout compte fait, il fallait que je passe faire un tirage à la banque demain.
Une chose me venait à l’esprit : ça fait un bon temps que je ne lui parlais pas, à Bella Béa. « Bella Béa », c’est ainsi qu’elle se faisait appeler. Bella Béatrice Bourjois était son nom complet. Oui, la vie d’ici est une infinité d’ironie. L’on porte des noms pour vivre bizarrement le revers de tout ce qu’ils signifient. C’est ainsi que nos trottoirs se remplissent de Richard pauvres, nos quartiers de César sans sou ni héritage. Ce fut le cas aussi de Bella Béatrice qui se trouvait Bourjois, pour que la misère puisse mieux railler de son compte. Et lorsque, à raison ou à tort, on se découvre être nommé Cendrillon, c’est que l’on est condamné à une éternité de haillons.
Je dessinais quelques arabesques sur l’écran de mon smartphone suivies de quelques tapotements, et apporta l’appareil à mon oreille. Le timbre résonnait sa monotonie, indiquant que le téléphone de ma correspondante était en train de sonner.
-Hey, ça va, toi ?
-Oui, répondis-je sèchement n’ignorant l’appétit de mon amie débordante lorsqu’il s’agit de papoter. Ça va mieux.
-Eh bien, dis-toi que je suis énormément ravie de te l’entendre dire.
-C’est gentil, Béa.
-Dis, tu as déjà tout planifié avec le contact que je t’ai donné ? Il me plaignait ta lenteur, à notre dernière conversation.
-C’est fait…
-Voilà ce que c’est qu’être une femme courageuse ! encouragea-t-elle. Tu auras ta paix, chérie, et bientôt tu n’entendras plus parler de ces vermines.
Ces mots me faisaient un double effet pour le moins tiraillant. S’il était vrai que j’allais pouvoir apaiser ma haine ce faisant, ce coup impliquait pour moi aussi un aller sans retour au pays des condamnés. J’allais avoir les mains toute empreintes de sang d’autrui, et cela, malgré toute l’amplitude de mon ressentiment, était loin d’être fascinant aux yeux de ma conscience encore vierge.
Après une pause, je lui répondis :
-Je voulais t’en informer, c’est tout.
J’espérais, quelque part au fond de moi, qu’elle flairât ma désolation, et qu’elle formulât quelques mots à contre sens de mon projet. J’étais loin de savoir ce que je devais faire vraiment. J’avais l’impression d’être menée par le bout du bâton par la force des événements. En fin de compte, disons que j’attendais vainement que le diable m’indiquait le chemin du paradis.
Comme nos mots se faisaient rares, je raccrochai plus vite que prévu. Cette conversation que j’espérais être revigorante était en fait tout le contraire.
Je descendis du lit pour aller remettre la tasse dans la cuisine. La dame n’y était plus. Fatiguée, elle était probablement allée se coucher. Je déposai les vaisselles, et allai m’asseoir au salon. Je mis les écouteurs. Une sonate caressait mes tympans. Au bout d’un instant, les notes du piano suspendaient mon être dans un voyage on dirait astral. Je flottais avec la sensation d’avoir l’âme disséquée de mon corps. Le temps d’après, mon esprit vagabondait çà et là dans la pièce, quitta ensuite la maison sans passer par la porte ni par les fenêtres.
Et l’étrangeté arriva. Pour la première fois depuis quelques jours, je ressentais que je portais un string et qu’il était très voisin de la petite fleur d’entre mes jambes. J’assistais y prendre naissance tout un fourmillement de douceurs et de températures. Par un petit effort mental, je me découvris en train de penser à lui, ses lèvres dans ma bouche, sur ma chair tendre puis en train de brouter mon dessous-de-culotte, son bassin vigoureux entre mes cuisses écartées de toute leur flexibilité, la mécanique d'aller et de retour de ses hanches… J’auscultais du doigt le terrain déjà trop visqueux. Ne pouvant plus me contrôler, je lui glissai précautionneusement un doigt humide. Sans tarder, la danse prenait du rythme. Ma main droite prenait en serre mon sein gauche, et la gauche, armée d’une paire de doigts, triturait habilement ma fleur féminine. Un assaut de spasmes propulsait mon corps dans l’infini d’un ciel vaporeux. Ma paume, presque automatiquement, maltraitait le mont de venus dans un battement rythmique, énergique. La chute était fracassante. Je revins à moi essoufflée, le cœur battant, le cœur sensible même au souffle de la brise errante.
La nuit était légère et onirique, profonde et douce.
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